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Jadis et naguère

Le passé invite parfois à une tristesse rêveuse. Paul Verlaine ne s’y trompe pas en baptisant son recueil de poèmes Jadis et naguère (1884).  Des mots justes viennent habiter ce sentiment mélancolique. Jadis, autrefois, naguère et d’antan sont de ceux-là. Ils font écho à un passé vague, mais chacun y dessine sa nuance. Hormis le mot « autrefois » qui est d’un usage courant, les trois autres sont du registre du langage littéraire, soutenu ou poétique. Immisçons-nous dans leurs secrets.

JADIS ET NAGUERE

Jadis, adverbe invariable, provient d’une contraction de l’ancien français datant du XIIe siècle, « ja a dis ». Détaillons cette contraction d’antan : « ja » du latin jam, déjà, « a » du verbe avoir signifiant « il y a » et « dis » du latin dies, jours. Nous obtenons alors « il y a déjà des jours » qui se traduit de nos jours par « dans le passé lointain, autrefois, il y a bien longtemps ». Dans l’expression figée « le temps jadis », l’adverbe se construit comme un adjectif épithète. Ex. : Jadis, quand les papes régnaient sur Avignon (de 1309 à 1418). Cela était bon au temps jadis. N’oublions pas de prononcer le S final de jadis. 

Autrefois, apparaît donc comme un synonyme de jadis. Adverbe de temps, il signifie « anciennement, dans un passé lointain, jadis ». Au sens propre, il se traduit par « une autre fois ». C’est pourquoi cet adverbe s’appliquait dans l’ancienne langue aussi bien à l’avenir qu’au passé. Ce n’est qu’à la fin du XIIe qu’il ne s’emploie que pour évoquer le passé. Néanmoins, outre son usage plus commun, « autrefois » se réfère à des périodes plus contemporaines que le vocable « jadis » qui lui, correspond à des périodes beaucoup plus anciennes. 

JADIS ET AUTREFOIS

L’adverbe naguère nous fait voyager dans son univers poétique. Son écriture rare est parfois fautive. Issu de la contraction du vieux français « n’a guère », le mot littéraire de naguère se traduit au sens propre par « il n’y a pas beaucoup de temps », soit « il n’y a pas longtemps ». Il se rapporte donc à un passé très récent et signifie « récemment, il y a peu de temps ». Or il est moult fois prononcé ou écrit dans le sens de « autrefois, jadis » à tort. On parle alors de glissement de sens. Ex. Naguère, les dinosaures peuplaient la Terre; il faut écrire « Jadis, les dinosaures peuplaient la Terre. »  Par contre, il est juste de dire : « Cette usine, naguère si florissante, subit aujourd’hui la crise de plein fouet. » En ancien français « naguères » prenait parfois un S.

 Victor Hugo

Demeurons poètes et faisons résonner les mots d’antan. Du latin classique ante, avant, et annum, année, la locution adjectivale d’antan a pour sens premier, « l’année d’avant, il y a un an ». Autrefois, « antan » s’employait comme nom pour dire « l’année dernière ». De nos jours, il sert de complément prépositionnel d’un nom et désigne désormais un passé lointain synonyme d’autrefois. Ex. Les coutumes d’antan. Ce nouveau glissement sémantique serait dû, selon certains grammairiens, à une mauvaise interprétation du vers de François Villon (1431-1463) dans sa Ballade des dames du temps jadis : « Mais où sont les neiges d’antan ? ». L’intention du poète reste incertaine entre le sens premier de « l’an passé » et celui plus général de « jadis ». Cette poésie sera chantée par Georges Brassens en 1953. 

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Les jours s’égrainent au fil du temps,  naguère de près, d’antan et d’autrefois d’un peu plus loin, et jadis, du fond des âges.

Saynète

D’emblée, j’entends des voix gronder et me souffler ma faute : n’écrit-on pas scénette ?

saynete

La tentation peut être grande comme une erreur qui se répand.

Le philosophe suisse, Henri-Frédéric Amiel, écrivit :

« Une erreur est d’autant plus dangereuse qu’elle contient plus de vérité. »

Oui, nous sommes tentés par cette science relative aux processus de la pensée rationnelle qu’est la Logique, d’écrire « scénette » comme une petite scène. Ce pourrait être soit un petit lieu où se passe l’action théâtrale, soit une petite partie d’un acte composant une pièce de théâtre. Le nœud de la question pour ne pas dire le hic est que ce mot de « scénette » n’existe pas ! Quoi qu’on en pense, quoi qu’on en dise, quoiqu’on entende, quoi qu’on en lise, il ne figure pas dans notre beau dictionnaire. C’est ainsi. Utilisé fréquemment, il s’agit bel et bien d’une erreur courante, d’un mot incorrectement écrit. 

Le bon mot, surgi de nulle part, est le mot saynète qui nous viendrait d’une autre planète, si je puis dire. Nom féminin, son origine est espagnole, du mot sainete, morceau délicat, et sain, graisse. Le latin vulgaire saginatus, engraissé, en serait le point de départ. Sa sémantique a évolué au cours des siècles. Au XIVe, on lui attribue le sens de « petit morceau de graisse donné en récompense à un faucon de chasse ». Il se transformera ensuite en « toute bouchée agréable au goût », puis en « toute chose plaisante ». Au XVIIe, une « pièce bouffonne en un acte que l’on donnait avant le deuxième acte d’une comédie en guise d’entracte » fait son apparition, avant de devenir une « petite pièce comique espagnole » du XVIIIe, et plus généralement une « petite pièce comique très courte » au XIXe. Il resta longtemps du genre masculin avant de céder au genre féminin. Les femmes sont terribles…

Notre Larousse actuel lui prête de nouveau la définition d’une pièce comique du théâtre espagnol, mais lui accorde en second sens vieilli, celui de sketch ou de courte pièce avec peu de personnages. Rien ne vaut un exemple, extrait du sketch « Parler pour ne rien dire » de Raymond Devos :

 Mesdames et messieurs … je vous signale tout de suite que je vais parler pour ne rien dire. Oh! Je sais! Vous pensez : « S’il n’a rien à dire … il ferait mieux de se taire! » Évidemment ! Mais c´est trop facile ! … C´est trop facile ! Vous voudriez que je fasse comme tous ceux qui n´ont rien à dire et qui le garde pour eux ? Eh bien, non ! Mesdames et messieurs, moi, lorsque je n´ai rien à dire, je veux qu´on le sache ! Je veux en faire profiter les autres ! Et si, vous-mêmes, mesdames et messieurs, vous n´avez rien à dire, eh bien, on en parle, on en discute ! Je ne suis pas ennemi du colloque. Mais, me direz-vous, si on en parle pour ne rien dire, de quoi allons-nous parler? Eh bien, de rien ! De rien ! Car rien … ce n´est pas rien, la preuve c´est qu´on peut le soustraire. Exemple: Rien moins rien = moins que rien ! Si l´on peut trouver moins que rien, c´est que rien vaut déjà quelque chose ! On peut acheter quelque chose avec rien ! En le multipliant Un fois rien … c´est rien, deux fois rien … ce n´est pas beaucoup ! Mais trois fois rien ! … Pour trois fois rien, on peut déjà acheter quelque chose ! … et pour pas cher! Maintenant, si vous multipliez trois fois rien par trois fois rien : Rien multiplié par rien = rien et trois multiplié par trois = neuf. Cela fait rien de neuf ! Oui … Ce n´est pas la peine d´en parler!…

En essayant de ne pas parler pour rien, voici d’autres mots écrits bien souvent incorrectement, et toujours pour de bonnes raisons, mais oui !  

L’incorrect cauchemard prend trop souvent le D de cauchemarder ou cauchemardesque, alors qu’il s’écrit tout simplement cauchemar.
Connexion prend un X et non CT comme dans le mot incorrect connectioninfluencé à tort par le verbe connecter et le nom anglais connection. 
Le magasin peine à se contenter du S en empruntant un Z fautif d’un magazin inexistant, mais influencé par le magazine des kiosques venu d’Angleterre.
Le choix cornélien ou dilemme pose forcément problème en confondant avec le dilemne qui n’existe pas, mais ressemble étrangement à l’adjectif indemne.
 

Et même si notre saynète rime avec sornettes et qu’elle en raconte parfois, je n’ai trouvé malheureusement aucun moyen mnémotechnique pour le retenir. Dommage…avec deux M.

 

Pâque et Pâques.

Il est des mots qui mettent la pagaille dans la langue française et nous donnent de sacrés maux de tête. Pâque, pâque, Pâques ou bien pâques ? Le suspens sera de courte durée : tous à la fois, avec ou sans majuscule, au singulier ou au pluriel, au féminin ou au masculin. Même en mettant tous vos œufs dans le même panier, vous n’aurez jamais un seul mot de Pâques. Vous êtes prêts ? Alors c’est parti pour fêter Pâques, non la Pâque je voulais dire, et nourrissons-nous de la pâque sans oublier de faire nos pâques

Tentons de faire simple là où tout semble embrouillé. Pâque, nom féminin singulier, désigne la fête juive qui commémore la sortie d’Égypte du peuple hébreu, sa libération et l’annonce de sa rédemption messianique, c’est-à-dire le salut apporté par Jésus-Christ à l’humanité pécheresse. En effet, à l’époque des pharaons, les Hébreux vivaient en esclavage en Égypte. Leur traversée de la mer Rouge à pied sec a permis de séparer le pays de la servitude et celui de la Terre promise. C’est donc le passage de l’esclavage à la liberté. La Pâque juive célèbre la naissance d’Israël en tant que peuple et se veut la fête de la Liberté. 

Traversée mer Rouge

Traversée de la mer Rouge

À l’origine, Pâque est un mot hébreu pessa’h qui signifie passage. Il évoque le passage de Dieu au-dessus des maisons des Hébreux qu’il voulait épargner quand il fit mourir les premiers-nés d’Égypte. Il a été traduit en grec biblique par Paskha. De là serait issu le mot du latin ecclésiastique Pascha, qui désignait la Pâque juive et l’agneau pascal que les Juifs mangeaient pour célébrer la Pâque. Le latin populaire a transformé Pascha en pascua, nourriture, pâture du verbe pascere, paître, nourrir. La pâque avec un p minuscule, nom toujours au féminin singulier, désigne  cet agneau sacrifié qui au sens figuré représente Jésus sacrifié dans la religion juive. Manger la pâque, c’est manger l’agneau. Saviez-vous que traditionnellement une coupe de vin est posée sur la table et que la porte d’entrée est laissée ouverte ? Ce sont des signes pour accueillir le prophète Élie qui participe à la Pâque juive. Notons qu’avant le XVe siècle, Pâque s’écrivait Pasque, et qu’il a donc fallu la chute du S, dit amuïssement, au profit de l’accent circonflexe sur le A.

Vers le XVe siècle, la distinction sémantique (relatif au sens des mots) a été marquée par la graphie entre Pâque, la fête juive et Pâques, la fête chrétienne. Mais d’où viendrait ce mot Pâques avec un s, sachant pertinemment que les premiers chrétiens observaient la Pâque et non les Pâques ? Il semblerait que Pâques était  simplement une fête païenne célébrant le printemps et la première pleine lune après l’équinoxe de printemps (durée égale du jour et de la nuit). Le nom anglais de Pâques, Easter,  ou celui allemand, Ostern, confirmerait cette origine païenne. Ils désigneraient une divinité anglo-saxonne du printemps et de la fertilité, Eostre ou Ostara, en l’honneur de laquelle un festival se tenait chaque année avec ses offrandes, des œufs peints ou le lièvre (devenu lapin), symbole de fécondité et animal fétiche de la déesse.

EOSTRE OU OSTARA

EOSTRE ou OSTARA

Revenons à nos moutons, et détaillons de plus près ce mot Pâques. Notre cher dictionnaire nous apprend qu’en ancien français, Pasques était le plus souvent considéré féminin pluriel, parfois féminin singulier, mais que dorénavant il est masculin singulier et ce, malgré le S. Vive notre belle langue française si rationnelle… Pâques désigne à la fois la fête chrétienne catholique célébrant la Résurrection de Jésus-Christ tous les ans, mais aussi le jour de cette fête. Ex. : Cette année-là, Pâques était tardif, car il tombait le 24 avril. Tout serait limpide si la grammaire française n’était pas si diabolique et venait transformer notre genre masculin et notre nombre singulier en féminin pluriel lorsque notre beau mot de Pâques se fait accompagner d’une épithète. Ex. : Joyeuses Pâques ! À Pâques fleuries (le dimanche des Rameaux précédant Pâques). À Pâques closes (le dimanche qui suit Pâques, aussi appelé Quasimodo). Notre mot peut aussi s’écrire sans majuscule dans l’expression « faire ses pâques », c’est-à-dire recevoir la communion à Pâques dans la religion catholique. Le p minuscule se justifie car pâques désigne par métonymie le nom commun « communion ». 

Pâques

La Résurrection du Christ le jour de Pâques.

Savez-vous que la pâquerette se nomme ainsi pour sa floraison à Pâques ?

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Devinez-vous quel jour fut découverte l’île de Pâques en Polynésie ?

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L’île de Pâques isolée dans le sud-est de l’océan Pacifique.

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Les moaï, statues géantes de pierre volcaniques sur l’île de Pâques.

Le Néerlandais Jacob Roggeveen découvre cette île perdue le dimanche de Pâques 5 avril 1722.

Avant de fêter ce dimanche de Pâques 2015, ÉCRIRE ENSEMBLE vous offre un florilège d’expressions :

À Pâques ou à la Trinité
 
Noël au balcon, Pâques au tison
 
Tarde que tarde, en avril aura Pâques
 
Pâques désirées sont en un jour allées
 
Il ne faut pas mettre Pâques avant les Rameaux
 
Celui qui doit être pendu à Pâques trouve le carême bien court
 
 

JOYEUSES  PÂQUES

 

 

 

 

Falbala

Une fois n’est pas coutume, découvrons notre mot à travers une affiche de film.

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Ce film mélodramatique de Jacques Becker (1906-1960) sorti en 1945, retranscrit avec un grand réalisme l’atmosphère d’un atelier de haute couture. Notre mot « falbala » batifolerait donc avec la mode. Plongeons-nous dans le scénario : Micheline débarque à Paris pour se marier avec Daniel, un marchand de soie lyonnais. Mais elle va succomber au charme d’un couturier brillant, mais séducteur invétéré, Clarence. Pour elle, il va lui confectionner sa robe de mariée et lui dessiner de beaux falbalas…

Laissons encore flotter le suspense pour vous retracer l’incertaine étymologie de falbala. Le dictionnaire académique situe son origine au XVIIe siècle et son emprunt au provençal farbella, frange, guenille, dentelle. Une origine espagnole est avancée par les mots falda, habit de femme, et faldellin, cotillon plissé, kilt. Le mot allemand fald-plat, jupe plissée, feuille plissée, apporte lui aussi sa pierre à l’édifice. D’après d’autres convaincus, falbala viendrait de l’anglais furbelow prononcé « forbelo » et décomposé en fur-, fourrure et -below, en bas; on parlerait donc d’une fourrure du bas d’une robe pour cette source anglophone. Enfin, Gilles Ménage (1613-1692), grammairien érudit, établit sa version de la provenance du mot falbala dans son « dictionnaire étymologique ou origines de la langue françoise » réédité en 1694 : il aurait été inventé par un maréchal des logis, sous-officier responsable des écuries, un certain monsieur de Langlée. Discutant avec une couturière qui lui montrait une jupe au bas de laquelle se trouvait une bande plissée, il la félicita pour ce « falbala » remarquable. Ce mot qu’il venait d’inventer pour plaisanter fut pris au sérieux par la modéliste qui le répandit à toute la profession. Comme l’écrivit Victor Hugo en 1829 dans son recueil de poèmes Les Orientales,
« La rumeur approche, l’écho la redit. » 
 

Le dénouement ne saurait donc tarder… Nom masculin, le mot falbala était anciennement, au XVIIIe siècle, une bande d’étoffe plissée ou froncée, ou bien un volant de dentelle qui ornait le bas d’une jupe, robe ou rideau. Le falbala rehaussait ainsi l’apparence du vêtement ou du rideau. Au pluriel, les falbalas sont des ornements de mauvais goût, prétentieux et surchargés. Fanfreluches, fioritures, parures et autres affiquets sont ses dignes synonymes. Les falbalas se rapportent aux vêtements, aux choses en général, à des paroles, des chansons, etc. Dans le roman Un de Baumugnes, Jean Giono (1895-1970) exprime : « Je vous explique ça comme je le sais, sans falbalas. » 

De falbala dérivent les verbes falbalasser ou falbalater signifiant garnir de falbalas, pour une robe par exemple. 

Si le sens de ce mot qui chante à mon oreille n’est pas connu de tous, les fervents d’Astérix, eux, sont intarissables sur leur Falbala. Elle est l’égérie, l’inspiratrice d’Obélix follement amoureux de cette magnifique femme aux longs cheveux blonds et à la robe falbalassée. Malheureusement, Falbala est fiancée à Tragicomix. Le dessinateur Albert Uderzo aurait donné à sa Falbala une ressemblance avec l’épouse de son scénariste René Goscinny.


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À l’image de paroles bienveillantes ou blessantes, les falbalas disposent d’atouts pour à la fois embellir ou gâter une robe de collection.

Parangon

Malgré la rime, l’Avare de Molière (écrit en 1668), j’ai nommé Harpagon, est loin d’être un parangon de vertu. 

Apparu en 1504, le mot parangon provient de trois langues méditerranéennes : de l’espagnol parangón, comparaison, puis de l’italien paragone, pierre de touche, et enfin du grec ancien parakonê, pierre à aiguiser. Une pierre de touche (ou touchau) est un fragment de jaspe noir, pierre dure et opaque, utilisée pour discerner l’or de l’argent dans le métal en fusion. De nos jours, la pierre de touche est une expression signifiant un test, une épreuve, pour mesurer la valeur de quelque chose. 

L’étymologie de ce terme littéraire nous dévoile un soupçon de ses secrets, seulement… En joaillerie, un parangon est en effet une pierre sans défaut, perle ou diamant, qui se distingue par sa beauté et sa grosseur. Un diamant parangon peut ainsi servir de modèle; nous approcherons ainsi de son sens premier. Mais laissons-nous captiver par l’histoire des deux perles « parangones » que possédait la reine d’Égypte, Cléopâtre. Pline l’ Ancien (23-79 après J.-C.) nous retrace le pari fait par la reine lors d’un festin avec le général romain Marc-Antoine. Elle lui aurait promis « d’engloutir » dix millions de sesterces en un seul dîner. Marc-Antoine, incrédule, observe Cléopâtre : elle détache une magnifique perle de son oreille, la plonge dans du vinaigre, et avale majestueusement sa perle dissoute. 

Perle parangone

Détail de la main de Cléopâtre tenant une perle parangone – fresque du « festin de Cléopâtre » de Tiepolo (1696-1770).

Le diamant parangon le plus célèbre est le Cullinan pesant tout bonnement 3160 carats ! Sa grande pureté chimique est exceptionnelle. Découvert en 1905 par Thomas Cullinan, propriétaire d’une mine en Afrique du Sud, ce parangon fut offert à Édouard VII, roi d’Angleterre, en gage de la gratitude éprouvée pour l’autonomie récemment acquise. On raconte que le tailleur de la pierre, Joseph Asscher, vit sa lame de couteau d’acier se briser en deux lors du premier coup porté. Le Cullinan fut ainsi fractionné en neuf majestueux diamants exposés à la Tour de Londres parmi les joyaux de la couronne britannique. 

Diamant cullinan

Diamant Cullinan

Restons dans le domaine artistique. Le parangon désigne également une sorte de marbre noir d’Égypte et de Grèce. Il servait à sculpter des statues d’animaux et des sphinx, ces monstres mythiques à corps de lion et à tête humaine, gardiens des sanctuaires funéraires. On parle aussi de parangon de Venise pour les plus belles étoffes de soie fabriquées dans la sérénissime ville d’Italie. Enfin, certaines fleurs se nomment parangons, car elles ont l’excellence de revenir chaque année avec la même beauté, sans dégénérer ; des fleurs magiques en quelque sorte…

parangon marbre

Marbre parangon

Le sens premier et le plus répandu du mot parangon est un modèle par excellence auquel on se réfère. C’est un exemple de personnes ou d’objets, dignes d’être imités. Un parangon désigne donc un idéal ou bien  l’archétype reconnu comme universel. « Rares sont les personnes symbolisant les parangons de vertu et de courage. » La démocratie ou la beauté revendiquent également leurs parangons. Il peut parfois être négatif : « Le parangon de l’artiste maudit. »  Éclairée par l’origine espagnole parangón, comparaison, l’expression « mettre en parangon » signifie comparer, établir une comparaison. Attribué à un être humain, homme ou femme, un parangon ressemble à un phénix, personne unique en son genre grâce à ses qualités exceptionnelles. Mozart fut le parangon du prodige, compositeur d’une musique brillante, pure, limpide, voluptueuse et instinctive. Et que dire du divin Léonard de Vinci ? On lui prête le titre de « Parangon du peintre intellectuel ». Or il fut un homme universel, l’incarnation même du génie, à la fois artiste, mathématicien, inventeur, architecte, botaniste, musicien, philosophe…Tel un électron libre, il naviguait à l’envi entre les disciplines explorant le monde infini de la Connaissance. 

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Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791), prodige de la musique.

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Le génie de Léonard de Vinci (1452-1519)

Le parangon ne finit pas de nous étonner et nous montre son caractère…d’imprimerie. Il désigne la taille de caractère : le petit-parangon a un corps de 20 points tandis que le gros-parangon est de 22 points.

Dérivons dans notre soif de mots pour parangonner notre parangon, c’est-à-dire le présenter comme modèle, ce qu’il est par nature, ou bien le comparer à autrui. 

Prenons de la hauteur ou du recul, selon notre taille, et citons le penseur Janus Gruter (1610) : « Comparaison n’est pas raison. » Séduite par la paronomase (mon prochain mot…ou pas) portant sur -paraison, cette expression allègue qu’une comparaison n’est aucunement une vérité et qu’elle ne prouve donc rien. Le proverbe « toute comparaison cloche » corrobore cette pensée. Sans s’y comparer, je préfère l’idée de s’inspirer d’ un parangon. Ce sera mon dernier mot.