Posts in "Le mot de la semaine"

Liberté

« La liberté assassinée » LE FIGARO – Midi Libre – L’Union Reims

« Un crime contre la liberté » Ouest France

« C’est la liberté qu’on assassine » l’Humanité

« Ils ne tueront pas la liberté » Le Parisien

« Liberté – Barbarie » L’ÉQUIPE
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« War on freedom » « Guerre contre la liberté » The Dayly Telegraph (G-B)

 « Attack on freedom » « Attaque contre la liberté » THE TIMES (G-B)

« Vive la liberté » le Berliner Zeitung (Allemagne)

« La liberté ne meurt jamais » L’Aisne nouvelle

« La liberté plus forte que la terreur » Paris-Match

 

Au lendemain de l’attentat du 7 janvier 2015 visant le journal satirique Charlie Hebdo, jamais le mot LIBERTÉ n’aura résonné avec autant de force et de fragilité dans la presse du monde entier. La Constitution française de 1793 définit la liberté comme « le pouvoir qui appartient à l’homme de faire tout ce qui ne nuit pas aux droits d’autrui : elle a pour principe la nature ; pour règle la justice ; pour sauvegarde la loi ; sa limite morale est dans cette maxime : ne fais pas à autrui ce que tu ne veux pas qu’il te soit fait. » La liberté n’est donc pas si libre. Notre devise républicaine « Liberté – Égalité – Fraternité », prononcée pour la première fois par Robespierre en 1790, souligne que l’individu est libre, sa dépendance vis-à-vis d’autrui se limitant à ses devoirs et donc au respect de la loi.

Encadrée par la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen de 1789, les libertés individuelles se déclinent en liberté civile, liberté de conscience ou droit de choisir ses convictions religieuses, liberté de mouvement, liberté d’enseignement et de réunion, liberté d’expression ou droit de dire et d’écrire ses pensées et opinions, liberté de la presse régie par la loi de 1881 ou droit de créer et publier un journal, un livre ou un blog, liberté du culte, liberté syndicale et droit de grève, etc. Ce concept de liberté est intimement lié à celui du droit. Non, nous ne pouvons faire ce que l’on veut. Belle ou tragique utopie d’un monde sans bornes, sans entraves ? Le philosophe anglais du XIXe John Stuart Mill écrivit cette citation universelle : « La liberté des uns s’arrête là où commence celle des autres ». Oui, notre liberté s’arrête pour autrui.

Du latin libertas, le mot liberté évoque l’état de l’homme libre, liber en latin, par opposition à esclave. Libertas et liber proviennent de la racine indo-européenne « lib » qui fait écho à l’idée de plaisir et que l’on retrouve dans d’autres langues. Liebe signifie amour, lieben, aimer en allemand ; libido, désir ou jouissance, libet, il plaît de, libentia, plaisir ou gaieté, en latin ; lioubit (любить), aimer en russe ; líbit, aimer en tchèque. De tout temps, la volupté a séduit notre Dame Liberté encline à jouir de ses droits. C’est ainsi qu’à la Révolution française, les reines des jeux de cartes furent remplacées par des figures nommées libertés et désignant les nouvelles libertés des cultes, des professions, du mariage, de la presse et des arts.

liberté de la presse

Libertas était une divinité allégorique romaine. Rattachée au Liber Pater ou Bacchus, dieu du vin et de la fécondité, la déesse Libertas personnifia la liberté du citoyen romain en opposition avec l’esclavage. Il n’a fallu qu’un flambeau porté dans sa main gauche et une chaîne brisée tenue par sa main droite, pour que la statue représentant la liberté place de la République à Paris fasse resurgir ce passé romain, dépositaire de notre histoire.

liberté place de la république

Comme dans toute famille, le mot liberté en abrite d’autres dont le sens est parfois malmené. Libertaire, nom et adjectif, se dit d’une personne partisane d’une liberté absolue, anarchiste. Liberticide, adjectif, qui porte atteinte aux libertés. Libertin, nom et adjectif, qui est de mœurs très libres. La liberté n’est jamais à l’abri, si friable, facile à réduire en poussière. En cela, elle demeure un symbole précieux, inestimable, dont nous sommes les gardiens, les veilleurs confiants. Paul Éluard était de ceux-là :

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom
Sur l’absence sans désir
Sur la solitude nue
Sur les marches de la mort
J’écris ton nom
Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te nommer
 
Liberté
 
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Marche pour la Liberté du 11 janvier 2015 – Place de la République à Paris

 

Couac, quoique et quoi que.

La chasse aux couacs des « quoique » est ouverte :
oui, finissons-en avec les discordances, les fausses notes dont sont victimes, malgré eux, les « quoique » et « quoi que ».
 
couac
 

On écrira QUOIQUE en un seul mot si l’on peut le remplacer par BIEN QUE, qui lui, est en deux mots. Il s’agit alors de la conjonction de subordination généralement suivie du subjonctif et qui marque une opposition, une concession ou bien une restriction. « Quoique fatigué, il viendra au concert, quoiqu’il y ait des couacs. » Toutefois, dans certaines propositions présentant une objection plus qu’une concession, la conjonction « quoique » peut être suivie de l’indicatif ou du conditionnel, et signifie alors cependant, mais. « Je vais aller écouter cette conférence, quoique je préférerais (au conditionnel) aller au match de football. » Quoique s’élide devant une voyelle, c’est-à-dire supprime sa voyelle finale : « Quoiqu’elle soit musicienne, elle fera toujours des couacs. » L’expression familière « quoique ça » signifie néanmoins, cependant.

QUOI  QUE s’écrit en deux mots si l’on peut le substituer à QUELLE QUE SOIT LA CHOSE QUE/QUI. C’est alors une locution pronominale concessive (ou pronom relatif complexe) toujours suivie du subjonctif. Rappelons qu’une proposition concessive réduit la portée de la proposition principale ou lui apporte une contradiction. « Quoi qu’on dise, quoi qu’on fasse, il râlera toujours ! » « Avant de faire quoi que ce soit, vous devriez réfléchir… » 

Quoi qu'il arrive

de Debi Gliori

Ce COUAC grammatical si répandu ne doit pas nous faire oublier que notre homonyme, nom masculin, est une onomatopée désignant une fausse note, un son discordant, familièrement nommée « canard ». Au sens figuré, il exprime un faux pas, une maladresse, une erreur. Sans faire de couac, sachez que l’on peut boire du kwak, une bonne blague… euh …bière belge du nom de son brasseur inventeur, Pauwel Kwak en 1791. 

Je laisse à Marcel Proust (1871-1922) le dernier mot : « Ma mère s’émerveillait qu’il fût si exact quoique si occupé, si aimable quoique si répandu, sans songer que les « quoique » sont toujours des « parce que » méconnus… »

Rocambolesque

« Ça ne tient pas debout, cette histoire, c’est rocambolesque, c’est du Grand-Guignol… » Nathalie Sarraute (1900-1999)

Tous les noms et adjectifs au suffixe -esque expriment une relation. C’est ainsi que notre mot du jour si abracadabrantesque, funambulesque, tirerait son nom des exploits de Rocambole, nom et héros du roman-fleuve de l’écrivain populaire du XIXe au nom joliment rocambolesque, Pierre Alexis, Joseph, Ferdinand, vicomte de Ponson du Terrail (1829-1871). Ce maître du roman-feuilleton raconte les aventures d’un voyou repenti devenu justicier, en marge de la société. Il tente de se détourner de son ex-mentor, l’infâme Sir Williams et de se muer en défenseur du bien. Parfois connu sous le titre Les Drames de Paris, les neuf romans du cycle Rocambole ont été rédigés de 1857 à 1871,  et créent un nouveau genre de fantastique littéraire, nourri d’aventures invraisemblables et extraordinaires. Rocambole, à l’imagination débordante, retenait son public en haleine. L’écrivaine Nathalie Sarraute témoigne dans son livre enfance de l’envoûtement que lui procurait la lecture de Rocambole. 

Rocambole Héros

Cet adjectif rocambolesque, invariable, signifie donc « rempli de rebondissements, de péripéties extravagantes ». Ses synonymes malchanceux rivalisent vaille que vaille, mais Rocambole a visé haut et fort dans son adjectif. Une fois prononcé, rocambolesque se suffit à lui-même et les explications superflues paraissent grotesques. Néanmoins, les fantastique, ébouriffant, abracadabrant, extraordinaire, inimaginable, impensable, étrange, incroyable, extravagant, étonnant, paradoxal, invraisemblable, ont le mérite de pallier les répétitions rocambolesques. 

Et si un autre rocambole se cachait derrière le héros aux aventures piquantes… D’où viendrais-tu Rocambole? Par quel subterfuge ton géniteur t’aurait-t-il dégoté ? Une hypothèse serait que son origine soit la plante au goût piquant qui porte aussi ce nom de rocambole. Nom commun féminin, la rocambole est une variété d’ail cultivée dans les régions méditerranéennes, appelée aussi ail géant d’Espagne ou allium scorodoprasum. De l’allemand Rockenbolle, la rocambole porte au sommet de sa tige des bulbilles pouvant servir à sa multiplication. Au sens figuré, la rocambole est une chose sans valeur, une futilité, une pacotille, une faribole, un propos frivole. Il peut enfin indiquer « l’attrait piquant de quelque chose », en lien avec l’odeur forte et le goût piquant de l’ail, qui dit-on, éloignerait les mauvais esprits.

ail rocambole

Ail rocambole

L’écrivain Ponson du Terrail cherchant un nom « pas piqué des vers », c’est-à-dire exceptionnel, se serait peut-être inspiré de notre plante piquante pour son personnage haut en couleur. Je me prête à l’imaginer glissant une délicate gousse d’ail de rocambole dans ses romans afin de rendre ses aventures plus relevées encore, plus transperçantes de rocambolades. Rocambolesque me direz-vous ? Je le revendique avec plaisir.  Notons que ce mot « rocambolade » fut créé en 1867 pour illustrer une farce littéraire dans le goût des exploits de Rocambole. 

Ce mot romanesque de rocambolesque plaît aux auteurs, friands d’aventures rocambolesques, chevaleresques, carnavalesques, clownesques, pittoresques, ubuesques, qui laissent le lecteur tantôt sidéré, médusé, éberlué, estomaqué, interloqué, tantôt ébahi, émerveillé, époustouflé, pâmé, extasié. 

Pastourelle

D’humeur bucolique,
pastoureau et pastourelle
chantent leur ritournelle
à leurs brebis égarées.
Aux alentours des pâtures,
trisse l’hirondelle rousseline,
roucoule la tourterelle des bois,
siffle de son long bec pointu la sturnelle des prés;
la sitelle torchepot, elle, picore une noisette
que l’étourneau sansonnet avait niché au creux de son arbre.
 

Le décor pastoral ainsi planté, nous apprivoiserons mieux ce mot, tel un mouton que l’on ramène au troupeau. Un joli mot que cette pastourelle entourée de beaux oiseaux au même suffixe -elle. Mais qui est-elle, que cache-t-elle notre belle pastourelle ? Elle tire son origine du latin pastor, pasteur, berger, celui qui garde les troupeaux. Autant le pâtre a perdu son s de pastor mais trouvé le circonflexe, « l’hirondelle de l’écriture » selon Jules Renard, autant notre pastourelle, petite bergère dans un premier sens, est restée fidèle à ses origines latines en gardant le s. Le pastoureau, masculin de pastourelle, est un petit berger dont le nom s’est étendu historiquement à la « croisade des pastoureaux ». Il s’agissait de paysans bergers, partis en bandes, censés délivrer Saint Louis fait prisonnier en 1250 à la bataille de Mansourah en Égypte. Malheureusement, leurs actions dégénérèrent en brigandage et en tueries. 

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La pastourelle, tableau de W. Bouguereau (1889)

Une pastourelle cache dans un second sens un poème chanté au Moyen Âge racontant la tentative de séduction d’une bergère par un chevalier peu scrupuleux. Parfois, la bergère, menacée par l’insistance du chevalier, appelle au secours le paysan qu’elle aime et qui se charge de chasser l’impertinent. Un personnage jouant le rôle de conseiller d’amour est omniprésent, j’ai nommé le rossignol, véritable poète lyrique de talent ! Dans la poésie pastorale ou bucolique de l’époque, cette pastourelle semblait exprimer le désir charnel masculin. Voici un extrait de pastourelle écrite par le troubadour Marcabru au XIIe siècle : 

 « …- Fille, dis-je, jolie chose,
Je viens de quitter mon chemin
Pour vous tenir compagnie.
Une si jolie paysanne
Ne doit pas garder ainsi
Un si grand troupeau de brebis
Toute seule en pareil lieu.
 
 
– Monseigneur, qui que je sois,
Je connais bon sens et folie;
Quant à votre compagnie,
Monseigneur, dit la vilaine,
Qu’elle reste où elle doit.
Car tel croit saisir ceci
Qui n’en a que l’apparence… »
 
Rossignol
Rossignol du Japon

De la poésie à la danse, il n’y a que quelques pas…de danse. La pastourelle est enfin une figure d’une contredanse française, la quatrième du quadrille ordinaire. Cette danse du XVIIIe est exécutée par quatre couples de danseurs.

La pastourelle cache un synonyme de son deuxième sens de chanson poétique, ô combien moins parnassien, moins musical : le mot églogue, qui semble avoir avalé des lettres…Ce petit poème pastoral dialogué se retrouve chez Pierre de Ronsard dans son recueil « Les Bucoliques ».

La musicalité de notre pastourelle bien-aimée rime avec celle des balancelle, cascatelle (petite cascade), chanterelle (corde la plus aiguë), venelle (ruelle) ou bagatelle.

 

 

 

Caparaçonner

Voici un mot que je viens de découvrir et que j’ai confondu avec « carapaçonner » qui n’existe pas ! C’est donc un barbarisme, c’est-à-dire une faute de langage consistant à employer un mot, soit inexistant soit déformé. Attention donc ici à ne pas intervertir le p et le r : ca – pa -ra – çon – ner. En revanche, le verbe pronominal, se carapacer, existe et désigne l’action de s’enfuir, se carapater ou bien de se protéger, se mettre une carapace.

Pour pallier cette erreur, penchons-nous sur l’étymologie de caparaçonner. Il vient du nom commun caparaçon, caparazón en espagnol, et dont l’origine latine caparo signifie chaperon, chape ou capuchon. Un caparaçon est une couverture ou housse recouvrant les chevaux. Il peut être soit d’ornement pour les cérémonies, soit de protection pour les chevaux de guerre ou de tauromachie. 

Ainsi le mot caparaçonner signifie au premier sens, couvrir un cheval d’un caparaçon, et en second, se protéger avec des vêtements rembourrés. Harnacher, enharnacher, vêtir, barder sont ses synonymes.

Dans le livre Ivanhoé, paru en 1819, Walter Scott décrit un cheval caparaçonné : « …l’animal lui-même était caparaçonné d’une splendide armure de guerre qui, cependant, aux yeux d’un meilleur juge, n’ajoutait rien au prix de la noble bête. »

Eugène Sue dans les Mystères de Paris, paru en 1843, dépeint la fière allure d’un cheval caparaçonné : « Et lorsqu’il est sanglé, caparaçonné, bridé, empanaché, peut-on voir un plus triomphant, un plus glorieux, un plus fier, un plus bel…animal? » 

Jean Fouquet, premier peintre et enlumineur d’histoire du XVe, a peint dans ses miniatures des Grandes Chroniques de France, Charlemagne à la bataille. L’armée de Charlemagne est montée sur des chevaux caparaçonnés aux motifs de fleurs de lys. 

Plus proche de nous, Colette (1873-1954), femme de lettres, écrit : « Puis elle brancha le fer à repasser, caparaçonna la table de la cuisine et se mit à l’ouvrage. » Caparaçonner a ici le sens de protéger.

Enfin, à la forme pronominale, se caparaçonner revêt le sens vieilli de s’habiller d’une façon peu habituelle, se vêtir bizarrement, s’attifer, s’accoutrer, se charger d’ornements ridicules. Il peut aussi avoir le sens de se protéger moralement, s’endurcir. « Comment peut-on se caparaçonner de la sorte? C’est ridicule. » « Il s’est caparaçonné contre les critiques. » 

D’autres barbarismes fleurissent dans notre langue française. En voici un florilège : aréoport pour aéroport, lieu de trafic aérien; aéropage pour cette fois aréopage, qui tire son nom de la colline d’Arès à Athènes; périgrination pour pérégrination, du latin peregrinus, étranger ; dilemne (confusion avec indemne) pour dilemme, du grec di- double et –lêmma proposition; opprobe pour opprobre, du latin opprobrium, réprobation publique, déshonneur ; frustre (confusion avec rustre, grossier, synonyme de fruste, et la forme conjuguée au présent de frustrer) pour fruste, qui manque de finesse, rustre; je vous serais gré au lieu de je vous saurais gré ; on dit savoir gré et non être gré.