Posts in "Le mot de la semaine"

Escagasser

J’aime ce mot escagasser, il me plaît et ne m’escagasse en aucune façon.

Il sent bon l’accent du sud, le chant des cigales, la nature libérée, l’argot provençal.

Il sonne en symbiose avec son sens qui se métamorphose selon l’atmosphère ambiante.

Emprunté au début du XXe, escagasser tire son origine du mot provençal escagassa, affaisser, écraser. Il désigne l’action d’assommer quelqu’un, ou plus familièrement de le réduire en bouillie, de l’écrabouiller, rien que cela ! Appliqué aux choses, le vocable escagasser signifie abîmer, démolir, détériorer, dégrader, endommager, esquinter ou casser. Et si l’on devient plus familier, il se transformera en bousiller, déglinguer, détraquer, amocher.

« Ah ! Bougre de bagasse, tu vas voir comment je vais t’escagasser !  »

Notons que le mot bagasse a dans ce juron provençal, Bougre de bagasse, le sens de prostituée.

« Si tu escagasses ma voiture, je m’en vais t’escagasser. »

Au sens figuré, escagasser veut dire importuner fortement, ennuyer, fatiguer, énerver, et plus familièrement barber, embêter, empoisonner, assommer, enquiquiner, emmerder. Avouez qu’escagasser revêt beaucoup d’élégance en comparaison…

« N’insiste pas …Tu m’escagasses à la fin ! »

 Mais là où escagasser me séduit, me charme, m’enjôle, m’envoûte, me fascine ou même m’ensorcelle, c’est lorsque son sens se métamorphose en exprimant tout le contraire, c’est-à-dire, épater, impressionner, éblouir, subjuguer. Tout réside dans la manière de dire, et les Méridionaux, ces gens du Sud, sont experts en la matière. Ils allient à merveille le ton au geste. Ainsi, le sens de leur parler en devient limpide. Dans Manon des sources de Marcel Pagnol paru en 1963, le Papet parle de mariage à son neveu Ugolin :

« – Je te demande qu’une chose. En choisissant la femme, pense aux enfants.

– Qu’est-ce que tu veux dire ?

– Ne te laisse pas escagasser par une jolie figure. Il nous faut des hanches larges, des jambes longues…et de beaux gros tétés. Choisis-la comme une jument poulinière.

– Mais si en plus elle a une jolie figure ?

-Si c’est en plus, ça me dérange pas…au contraire…ce sera la belle Soubeyran… et j’aurai plaisir à la regarder. »

 

Escagasser est un mot plein de ressources; il m’escagasse assurément. En effet, à la forme pronominale, « s’escagasser à faire quelque chose » signifie se donner du mal, s’évertuer, se démener, se décarcasser.

« Je m’escagasse à lui donner le bon exemple. »

Je me suis escagassée avec délectation à vous peindre un joli tableau du mot escagasser. J’espère ne point vous avoir escagassé, et si j’ai pu, par bonheur, vous escagasser quelque peu, j’en serai honorée et non escagassée.

 
 
 
 
 

 

Krak, crack, krach, craque, crac et Crac’h !

Six homonymes en un mot quel que soit le crac choisi, c’est bien là un score de crack !

« Du haut de son krak, le crack des traders assiste, impuissant, en fumant du crack, au krach boursier. Ce n’était pas des craques, l’économie va mal, et un jour, crac, tout craquera même à Crac’h. »

Ne cherchez dans aucun dictionnaire, ces phrases inventées naissent sur « Écrire Ensemble » de ma modeste plume. 

Telle une bonne instit’, reprenons du début :

« Du haut de son krak, … » : le mot krak, nom masculin, nous vient de l’arabe karak, forteresse, et désigne une construction fortifiée construite aux XIIe-XIIIe siècles par les croisés (participants des croisades), en Palestine et en Syrie. Le krak des Chevaliers ou « krak de l’Hospital » est un des plus connus. Situé dans l’ouest de la Syrie, il fut géré par les chevaliers de l’Hôpital ou Hospitaliers de 1142 à 1271.

crack-chevaliers

Krak des Chevaliers en Syrie

Le krak des Moabites ou « karak à Moab » est un autre grand château construit en 1142 par le croisé Payen Le bouteiller et situé dans la ville de Kerak ou Al-Karak en Jordanie. Cette forteresse protégeait la Terre Sainte depuis les hauteurs surplombant la mer Morte.

le-krak-des-moabites-a-kerak-1029619836-1570140

Krak des Moabites en Jordanie

« … le crack des traders assiste, impuissant… » : le mot crack, nom masculin, peut recouvrir quatre sens, soit quatre homographes (de même écriture). Du mot anglais « élite », un crack est un cheval de course performant au palmarès prestigieux.

cheval crack

Canvas Plus, un crack de cheval

Familièrement, on parle d’un crack ou d’un as pour une personne qui se distingue par ses compétences dans un domaine précis. « …en fumant du crack, … » : en argot, le crack est une drogue très toxique, dérivé fumable de la cocaïne obtenu par cristallisation. Son nom provient du craquement sonore qu’il produit en chauffant. Enfin, un crack peut désigner un programme informatique conçu pour modifier le comportement d’un autre logiciel.

« …au krach boursier. » : le mot krach vient d’un mot allemand krachen, craquer signifiant au sens propre « craquement » et par extension, effondrement des cours des valeurs ou des marchandises, à la Bourse. Un deuxième sens en économie est la débâcle financière d’une entreprise. Le terme de krach boursier est apparu lors de la chute des bourses de Vienne et de Berlin en 1873. Il s’est répandu en France en 1882 à propos du krach de l’Union Générale, banque catholique française créée à Lyon en 1875. Stricto sensu (au sens littéral), l’expression de krach boursier est un pléonasme; cependant, les krachs obligataire et immobilier touchent d’autres marchés.

krach boursier

Krach boursier

« Ce n’était pas des craques, … » : familièrement, une craque est un mensonge excessif, une vantardise ou une histoire imaginaire. Ex. : Elle raconte des craques pour se faire remarquer.

« …l’économie va mal, et un jour, crac, … » : l’interjection crac est une onomatopée qui exprime le bruit d’une chose dure qui se casse, ou la soudaineté d’un évènement. Ex. : Crac ! la connexion s’est arrêtée. Populairement, on dit « faire crac-crac » pour « faire l’amour » en allusion au bruit supposé des lattes du lit. L’onomatopée « cric-crac » évoque des bruits de cassure ou bien une serrure qui se ferme. Le mot CRAC est utilisé en majuscules pour représenter des sigles. Quatre sigles CRAC sont répertoriés : Comité Radicalement AntiCorrida ; Centre Régional d’Art Contemporain ; Convention de Règlement Assurance Construction ; Camionnette de Réserve d’Air Comprimé. 

CRAC BOUM

« …tout craquera même à CRAC’H. » : le bourg de Crac’h se situe dans la presqu’île formée par la rivière de Crac’h et celle d’Auray en Bretagne. Son nom serait une variante de « Kreac’h », mot breton signifiant butte, colline. Les Crachois et Crachoises sont les heureux habitants de cette commune bretonne.

rivière de crach

La rivière de Crac’h

Dans notre belle langue française, les mots krak, crack, krach, craque, crac et Crac’h sont accompagnés par bien d’autres homonymes. Citons-en quelques-uns :

ras, rat et raz ;

mal, mâle et malle ;

mer, mère et maire ;

foi, foie, fois et Foix ;

chaos, cahot et K.-O. ;

héros, héro et héraut ;

sot, saut, sceau et seau ;

compte, comte et conte ;

vin, vain, vingt et vainc(s) ;

verre, vers, ver, vert et vair ;

soi, soie, soit, sois et soient ;

sang, cent, sans, sent et s’en ;

sain, saint, sein, seing et ceint;

mes, mais, mets, m’est et met ;

air, aire, ère, erre(s/nt) et hère ;

cerf, serf, serre, serrent, sers(t) ;

cour, court, cours, courre et courent ;

enfin, avec sept homonymes, les mots eau, au, haut, ho!, oh!, ô et os font office de cracks !

2surfers

Oh ! Que c’est haut ces vagues sur l’eau !

 

 

Épitaphe

J’ai délibérément choisi l’angle humoristique pour parler de mon mot du jour.

La mort est un fardeau lourd à porter pour ceux qui restent, je le sais. Je le respecte. Néanmoins, un petit clin d’oeil sur de drôles d’épitaphes nous rappelle que nous y passerons tous et que personne n’est parfait !

« Je me portais comme un charme, et puis paf, épitaphe ! »

charme

épitaphe lumière

épitaphe d’anonyme

 

Au XVIIsiècle, le mot « épitaphe » était indifféremment des deux genres, masculin et féminin.

Et maintenant me direz-vous ?

Aujourd’hui, épitaphe est uniquement féminin.

Épitaphe, nom féminin, du grec epi, sur, et taphos, tombeau, est une inscription gravée sur un tombeau.

 

épitaphe enfin seul!

 

épitaphe coeur rose

 

epitaphes-des-tombes-celebres

Épitaphe mexicaine

Ne confondons pas épitaphe avec les mots épigramme (féminin, poème satirique), épigraphe (féminin, inscription sur un édifice ou en tête d’un livre) et épithalame (masculin, poème lyrique composé pour un mariage). 

« Faire l’épitaphe de quelqu’un » est le fait de dire après sa mort le bien ou le mal qu’on en pense.

« Menteur comme une épitaphe » se dit d’un homme exagéré dans ses éloges.

« Il fera l’épitaphe du genre humain » se dit d’un homme robuste qui paraît devoir vivre longtemps.

Les épitaphes les plus communes commencent par : « Ci-gît » signifiant « ici repose » suivi du nom du défunt. 

J’aime beaucoup celle de Martin Luther King : « Enfin libre. Enfin libre, merci Dieu tout-puissant, je suis enfin libre. »

free at last

Tombe de Martin Luther King et de sa femme Coretta

L’épitaphe de Richelieu (1585-1642) mérite le détour :

« Ci-gît un fameux cardinal
          Qui fit plus de mal que de bien
    Le bien qu’il fit, il le fit mal
       Le mal qu’il fit, il le fit bien. »
 

Celle d’Alphonse Allais évoque bien l’irrévocabilité de la mort : « Ci-gît Allais-sans retour. »

Grâce aux épitaphes, des anonymes deviennent célèbres ! En voici un florilège délicieux :

« J’ai peur, mais quand faut y aller, faut y aller. »

« Cherche partenaire de tombe pour tournoi d’osselets. »

« Odieux j’étais, À Dieu je suis. »

« Je vous l’avais bien dit que j’étais malade. »

épitaphe de malade

« Maudit soit le destin, qui à nous t’a ravi,
        Si ton cœur s’est éteint, dans le nôtre tu vis. »
 
« Si toutefois un jour ma mémoire oubliait, mon cœur se souviendrait. »
 

L’épitaphe peut revêtir d’autres formes d’expression. 

Dans la collégiale St Paul de Liège, devenue cathédrale, trône un tableau épitaphe retrouvé au XIXè sur la pierre tombale du chanoine Pierre de Molendino, mort en 1459. Ce tableau de La Vierge au papillon présente le chanoine à genoux aux pieds de la Vierge qui offre un papillon, symbole de la Résurrection, à l’Enfant Jésus. Elle est entourée de Marie-Madeleine, saint Pierre et saint Paul. 

viergepapillonptt

La vierge au papillon, tableau épitaphe du chanoine Pierre de Molendino.

Le compositeur français Charles Koechlin (1867-1950), passionné de cinéma, créa en 1937 l’épitaphe de Jean Harlow, romance pour flûte, saxophone alto et piano. Actrice américaine, sex-symbol des années 1930, Jean Harlow (1911-1937) débuta dans des films de Laurel et Hardy, mais eut son premier rôle important dans Les Anges de l’enfer réalisé par Howard Hughes. D’autres suivirent…mais son destin funeste l’emporta d’une infection rénale, hélas à 26 ans, en pleine gloire.

jean-harlow

Jean Harlow

koechlin-charles-epitaphe-de-jean-harlow-flute-saxo-harpe

Épitaphe de Jean Harlow composée par Charles Koechlin.

 

Obélisque

Si je vous dis qu’il est le meilleur ami et le compagnon d’aventures d’Astérix ? Vous me dites…

Obélix pardi !

Astérix et Obélix

Mais saviez-vous que son nom tirerait son origine du nom commun qui nous intéresse aujourd’hui, l’obélisque ?

D’ailleurs, ce mot obélisque, est-il du genre féminin ou masculin? De là vient souvent la confusion.

C’est alors qu’Obélix entre en jeu et va nous aider à retenir que tout comme Obélix, un obélisque est un nom masculin. Il vient du grec ancien obeliskos, broche à rôtir. Il désigne un monument monolithe, c’est-à-dire une colonne formée d’un seul bloc de pierre, à quatre faces (quadrangulaire), élevé et taillé en forme de pyramide très élancée, et terminé par un pyramidion (couronnement pyramidal). Il fut utilisé dans l’architecture sacrée de l’Égypte antique pour célébrer le soleil. En France, c’est une forme très souvent donnée aux monuments aux morts. Mais l’obélisque le plus célèbre de France demeure l’obélisque de Louxor situé place de la Concorde à Paris. Il fut offert en 1831 par Méhémet Ali, vice-roi d’Égypte, et érigé par Louis-Philippe 1er. Vieux de 3300 ans, cet obélisque impressionnant par sa hauteur de 23m et son poids de 230 tonnes est couvert de hiéroglyphes et représente en fait un gigantesque cadran solaire avec les lignes au sol permettant de lire l’heure.

obélisque de nuit

L’obélisque de Louxor, place de la Concorde à Paris.

7C250046-paris-place-de-la-concorde

La place de la Concorde avec son obélisque.

Imaginez-vous Obélix devant porter un obélisque sur son dos ? Un menhir est bien moins encombrant…

Obélix menhir

 

Nos amis gaulois Astérix et Obélix, tous deux de sexe masculin, seront toujours là pour nous rappeler qu’un astérisque (signe typographique en forme d’étoile) et un obélisque sont eux aussi du genre masculin.

asterix_obelix_facebook

 

Armistice

Le nom commun armistice ne fait pas toujours l’unanimité.

Deux fautes sont ainsi fréquemment commises : un accord au féminin et une confusion avec amnistie.

Qu’on se le dise, armistice est un nom masculin d’origine latine. De arma, armes et sistere, arrêter, il désigne une convention par laquelle des belligérants déposent les armes et suspendent donc les hostilités sans mettre fin à l’état de guerre. Cette erreur de genre se retrouve en 1762 dans les dictionnaires de l’Académie où il est féminin, et sera rectifiée en 1798 ne devant pas plus être féminin que solstice, également masculin. 

On écrira donc : « conclure un armistice » ou « signer un armistice ».

l'armistice est signe

Cette convention est signée par les chefs militaires suprêmes en attendant un traité de paix officiel. L’armistice ou cessez-le-feu ou bien encore suspension des armes, sauvegarde l’honneur des militaires, mais oblige le gouvernement vaincu à reconnaître sa défaite. Ce jour est souvent considéré comme une fête nationale. L’Armistice du 11 novembre 1918 prend une majuscule et désigne la fin des combats de la Première Guerre mondiale (1914-1918) avec un cessez-le-feu effectif à onze heures, ainsi que la victoire des Alliés et la défaite de l’Allemagne. Le traité de paix de Versailles sera ratifié plus tard en 1919.

armistice 1918

Tableau de la signature de l’Armistice de 1918 dans le wagon-salon du maréchal Foch (debout derrière la table).

220px-Armisticetrain

Sortie du « wagon de l’Armistice » du train d’État-Major du maréchal Foch. La clairière de Rethondes, en forêt de Compiègne.

Au sens figuré, le nom d’armistice évoque « une pause provisoire, d’une lutte ou d’un débat, qui permet de reprendre des forces ». 

La confusion avec le mot amnistie est fréquente du fait de leur prononciation proche, mais son sens est bien différent. Amnistie vient du grec amnêstia, pardon. Ce nom féminin, terme juridique, désigne une loi qui a pour but d’effacer officiellement certaines condamnations en annulant les poursuites pénales. Elle peut se rapporter par exemple à la défense ou la libération de prisonniers politiques ou d’opinion. On écrira : accorder une amnistie pour des détenus.

Cette confusion populaire fut même exprimée par le général Bonaparte en personne, lors d’un discours sur un armistice conclu à Brescia en 1796 (campagne d’Italie) où il aurait employé le mot d’amnistie au lieu du mot juste d’armistice. Que Dieu lui pardonne…