Le dernier roman d’Amélie Nothomb.

Amélie Nothomb, telle une prophétesse en son genre romanesque et abracadabrantesque, nous livre sur un plateau de champagne la clé de son dernier imbroglio, Le crime du comte Neville. Le pire est évité, et le meilleur est à venir… On se croirait presque dans un conte de fées s’il n’y avait pas ce cadavre sur-le-champ.

On a beau dire, il y a du génie dans l’intrigue. La diablesse d’Amélie nous métamorphose en danseurs ne sachant plus sur quelle pointe danser. Des chapitres sans titre ni numéro aux pirouettes incessantes, le lecteur se perd dans un labyrinthe de « ressentis » ignorés : Aucassin – encore un nom à dormir debout – ferme les yeux sur la misère assassine qu’il impose à sa fille. Henri – nous voici revenus au classicisme – terrorisé par la malédiction de sa propre fille,  prénommée Sérieuse – pourquoi pas Bêtise au fait chère Amélie? – se noie dans son aveuglante colère. Vous me suivez ? 

À moins de lire ce roman farfelu autant que rocambolesque – Rocambole, voici un autre héros marginal – je doute de vos dons de voyance pour me comprendre. Alors, plongez dans le monde d’Oreste, d’Électre et de Sérieuse – trouvez l’intrus – et noyez-vous-y !

Extrait choisi : « …oui, la dernière fête qu’il donnerait au Pluvier serait magnifique. Elle aurait la déchirante splendeur d’un chant du cygne. Il ferait beau, comme toujours le premier dimanche d’octobre dans cette région. Les hêtres auréolant les murs du château arboreraient ce commencement de rousseur qui toucherait davantage qu’une jeunesse absolue. La lumière automnale sublimerait l’ineffable couleur coq-de-roche de la façade, celle que les acheteurs potentiels assassinaient toujours d’un expéditif « Faudra repeindre ! » qui inspirait à Neville un désir de meurtre… »

    

   

   

 

 

 

 

 

 

 

 

 

   

   

À la pêche aux mots, Première.

 Écrire Ensemble vous propose une première partie de pêche… aux mots.

Des mots qui n’existent pas,  des mots découverts sous les rochers, de drôles de mots, de vieux mots, des mots à la mode…

Escarpolette : nom féminin vieilli, « Siège suspendu par deux cordes sur lequel on se place pour se balancer ; balançoire. »

Lascif : adjectif du latin lascivus, « Qui évoque les plaisirs de l’amour ; voluptueux, sensuel. » Ex. une danse lascive. 

⇒ Lascivement, adverbe, « De façon lascive. »

⇒ Lascivité ou lasciveté, nom féminin soutenu, « Penchant, caractère lascif ; sensualité. »

 Au débotté : expression littéraire. « À l’improviste ; sans préparation, de façon inattendue. » Ex. Prendre quelqu’un au débotté.

Débotté, nom masculin vieilli, « Moment où l’on quittait ses bottes. »

Débotter, verbe, « Retirer ses bottes à quelqu’un. »

 Hâbleur, hâbleuse : adjectif et nom soutenu, de l’ancien français hâbler, se vanter, « Qui aime à vanter ses mérites ; fanfaron. »

Hâblerie, nom féminin soutenu, « Caractère, propos de hâbleur ; vantardise. »

Hâbler, verbe, « Se vanter par des discours interminables. »

 Candidater n’existe pas, mais on l’utilise quand même !

On peut s’en étonner, car il remplacerait « se porter candidat » ou « poser sa candidature ».

Candidat et candidature existent bien, eux.

 

Quintessence

Les romans de Dostoïevski, Crime et Châtiment (1866), et de Tolstoï, Guerre et Paix (1869),
illustrent la quintessence de l’âme russe.
 

âme russe

Ce mot poétique, qui laisse échapper un soupçon de mystère, est pour ainsi dire à la mode. Du salon de spiritueux à l’édition, d’un festival international de cinéma à un hôtel canadien, en passant par des groupes artistiques, et j’en oublie… , la quintessence a de nombreux adeptes. Nom féminin, son orthographe délicate peut parfois lui faire défaut. Elle peut en effet rajouter à son palmarès de nombreuses fautes dont la plus répandue se mue en quintescence. Cette faute familière est probablement issue du mimétisme avec d’autres mots tels qu’ évanescence (qui disparaît peu à peu), déliquescence (qui se décompose, décadence), concupiscence (penchant à jouir des biens et des plaisirs terrestres), arborescence (fait de devenir un arbre, organisation ramifiée), reviviscence (propriété de certains êtres vivants de reprendre vie à l’humidité après avoir été desséchés), délitescence (désagrégation d’un corps sous l’effet de l’eau), flavescence (fait de devenir jaune doré), etc. Leur suffixe -escence signifie « qui se transforme en » ou bien indique « un état ». 

quintessence

notes-de-musique-2

A contrario, notre quintessence tire son origine du latin quinta essentia, « cinquième essence » qui traduit le grec pemptousia, « cinquième substance ». Le mot latin essentia indique l’essence, la nature d’une chose. Il est lui-même dérivé du latin esse, « être, exister ». En philosophie, l’essence constitue le caractère fondamental, la réalité permanente d’une chose. L’expression « par essence » se traduit « par sa nature même », « essentiellement ». Ainsi décomposée, la quintessence s’ouvre à nous.

Mais que cache cette cinquième essence ? Aristote, Pythagore, philosophes grecs, théorisaient le monde comme une alliance de quatre éléments, la terre, le feu, l’air et l’eau, transcendés par un cinquième élément. Nommée quintessence ou Éther, cette substance « divine » servirait de médiateur universel entre les éléments. Du Moyen Âge à la Renaissance, des chercheurs alchimistes ont tenté d’extraire par des distillations successives, cette quintessence, partie la plus pure et la plus subtile d’un corps. Ils étaient surnommés « les abstracteurs de quintessence » à l’image de l’écrivain humaniste français François Rabelais (1494-1553). Dans son œuvre Pantagruel (1532), Rabelais emprunte le pseudonyme d’Alcofribas Nasier et se qualifie lui-même d’abstracteur de quintessence. Il fut le premier à utiliser la quintessence dans un autre sens : « ce qu’il y a de meilleur, d’essentiel, de plus précieux, dans une idée, un objet ou bien chez une personne.  » Ainsi, nous rejoignons le sens de notre quintessence de l’âme russe dépeinte par Tolstoï et Dostoïevski dans leurs romans un brin nostalgiques. 

Au sens figuré, la quintessence représente ce qu’il y a de plus caché, mais aussi de principal dans une affaire, un discours, un ouvrage. Comme « cinquième élément », elle s’associe également à une forme subtile, abstraite, épurée, éthérée. Préférons donc le nom de « quintessence » (avec nos deux S) ou de l’adjectif « quintessentiel » aux noms et adjectifs pourtant synonymes d’essentiel, de meilleur et de concentré

Laissons le mot de la fin à Gandhi, guide spirituel indien surnommé le Mahatma, « la Grande Âme » :

quintessence gandhi

 
« Il est assez facile d’être amical avec ses amis.
Mais lier amitié avec celui qui se considère comme votre ennemi est la quintessence de la vraie religion.
L’autre est l’affaire de simple. »
 

À vous de tirer la quintessence de mon article du mot de cette semaine…

 

 

 

Geyser

 

À brûle-pourpoint, connaissez-vous l’origine du mot geyser ?

Je vais rendre à César ce qui lui appartient et dédier mon article à mon cher Sébastien. 

De retour de cette terre de glace qu’est l’Islande, jaillissaient de son œil de lynx d’époustouflants paysages lunaires. Égarée au beau milieu de l’océan Atlantique, cette île volcanique se situe sur la dorsale médio-atlantique formant une chaîne titanesque de volcans sous-marins sur plus de 15 000 kilomètres ! Cette dorsale sépare ainsi les plaques tectoniques eurasienne et nord-américaine en perpétuel mouvement, s’écartant environ de deux centimètres par an. Criblée ainsi de volcans, et non de dettes, l’Islande demeure sans commune mesure le pays le plus actif au monde « volcaniquement » parlant. L’île est extrêmement inhospitalière dans ses « Hautes Terres centrales » perchées à plus de cinq cents mètres d’altitude et regorgeant de crevasses, failles et sables mouvants. À bon entendeur, salut !

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« L’Islande au beau milieu de l’Atlantique »

 

Dans ce pays de glace et de feu, de nombreux phénomènes géothermiques sont contemplés par des aventuriers cosmopolites, du touriste curieux au géologue chevronné. Les sources chaudes, allant de 30 à 100°C, proviennent de rivières souterraines chauffées par contact avec les roches volcaniques. Les fumerolles sont des fissures du sol d’où s’échappent des gaz volcaniques; les solfatares sont des fumerolles riches en soufre. Les mares bouillonnantes de boue se forment dans des cuvettes d’argile décorées de jolies bulles de gaz. Les geysers sont des sources d’eau chaude jaillissant par intermittence à la surface, s’accompagnant de dépôts minéraux tels que le soufre et la silice. 

Il n’est donc pas surprenant que le mot « geyser » tire sa source du plus célèbre geyser d’Islande nommé Geysir, et situé au sud-ouest du pays dans la vallée de l’Haukadalur. Geysir signifie : qui jaillit, et dérive du verbe islandais gjósa ou geysa, « jaillir », provenant lui-même du vieux norrois (vieil islandais) gøysa. Le geyser français, nom masculin, est un emprunt à l’anglais geyser. Ce mot s’élargit parfois au sens d’une grande gerbe jaillissante tel un geyser de pétrole ou même un geyser de sable (en Arabie Saoudite).

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Islande et site de Geysir

Le somptueux site de Geysir abrite deux geysers. Endormi depuis le début du XXe siècle, le Grand Geysir reprend de l’activité en l’an 2000 à la suite d’un séisme et jaillit à plus de 120 mètres de hauteur. Actuellement, quelques éruptions par jour sont à son actif. A contrario, le geyser de Strokkur, plus spectaculaire, est le plus grand « travailleur » d’Islande. Il entre en éruption toutes les huit minutes en propulsant une puissante colonne d’eau de 30 mètres de hauteur. À l’amorce de sa giclée, une magnifique bulle bleu turquoise apparaît. Cette couleur bleue est une couleur « physique » due à la diffusion de la lumière et à la présence de silice colloïdale formant un microprécipité en suspension dans l’eau. Au contact de la roche en fusion (ou magma), l’eau bouillonne à 200°C dans des réservoirs souterrains et provoque une pression telle que les vapeurs et les jets d’eau sont poussés à travers des conduits étroits et solides vers la surface. Par effet de convection (mouvement dû à une variation de température) et de libération de chaleur, la colonne d’eau et de vapeur façonnée par ces tunnels souterrains jaillit hors de terre en furie. Puis le panache s’effondre et l’eau refroidie revient dans son bassin. Un nouveau cycle va alors recommencer dans huit minutes… 

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Geyser de Strokkur et sa bulle bleue

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Geyser de Strokkur et sa vapeur crevant la bulle d’eau bleutée

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Geyser de Strokkur et son panache de gouttelettes d’eau

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Geyser de Strokkur haut de 30 mètres

Deux types de geysers existent. Celui de Strokkur est un geyser « fontaine » grâce à sa large colonne d’eau. Dans le parc national de Yellowstone aux États-Unis, le geyser Old Faithful, dit « le vieux fidèle », est un geyser « en cône ». Cette spécificité de forme s’explique par l’étroitesse de ses conduits. Il mérite bien son surnom en jaillissant très régulièrement, de 30 à 55 mètres de haut, environ toutes les 90 minutes. Il est l’un des geysers les plus célèbres au monde. 

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Geyser Old Faithful aux États-Unis

 

Dans ce même parc californien du Yellowstone, le geyser le plus haut du monde éclata le 31 juillet 2013 après s’être endormi huit années durant. Des visiteurs ébahis entendirent un rugissement des entrailles de la Terre et sentirent sous leurs pieds le sol trembler. Le Steamboat Geyser s’éleva à plus de 120 mètres, s’approchant divinement de la voûte céleste. Contrairement à son confrère Old Faithful, nul ne sait quand il surgira de nouveau. Son activité secrète lui confère une aura bien mystérieuse. 

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Steamboat Geyser

 

Le geyser masculin a son penchant féminin en la personne de la geysérite. Mot de minéralogie, une geysérite est un dépôt siliceux laissé par certaines sources d’eaux chaudes. Rappelons que la silice représente 60 % de la masse de la croûte terrestre continentale. La geysérite est une sorte d’opale, d’un blanc laiteux et bleuâtre, formée notamment par nos fameux geysers islandais. Même si notre couple de mots, geysérite et geyser, n’est pas des plus faciles à écrire sans fautes, ne nous plaignons pas devant la barbarie d’autres mots islandais… Le volcan qui paralysa le trafic aérien européen en 2010 fut un calvaire de prononciation pour tous les journalistes. L’Eyjafjallajökull (je rêverais de vous l’entendre dire…) se décompose par ey, »île », fjall, « montagne » et jökull, « glacier ». Il se traduit en français par « le glacier sur les montagnes proches des îles ». Pourquoi faire compliqué en français avec 38 lettres quand on peut faire simple avec 16 lettres islandaises ? Ce peuple scandinave n’a décidément pas froid aux yeux !

 

 

Imbroglio

J’écoutais sereinement la radio, lorsqu’une prononciation d’un mot me fit tressauter. Une voix ingénue évoquait une situation inextricable qu’elle qualifiait « d’embroglio rocambolesque ». Ne rajoutons pas d’embrouille dans cet imbroglio déjà fort compliqué… Notre Larousse national précise la prononciation de notre mot grâce à l’alphabet phonétique français : ɛ̃brɔljo ] ou ɛ̃brɔglijo ], accordant nos violons, tout du moins pour cette première syllabe.

voyelles nasales

Voyelles nasales de l’alphabet phonétique français

Ainsi, notre voix radiophonique aurait dû prononcer « imbroglio » comme le phonème [ɛ̃] ou « im » le précise. Le phonème erroné [ɑ̃] ou « em«  ne fait qu’embrumer cette situation confuse qu’est déjà par nature notre imbroglio. Pour chanter ce joli mot italien, deux prononciations sont possibles selon notre cher dictionnaire. À l’italienne, nous chantons « imbrolio » du fait du gl italien mouillé où le g ne se prononce pas. À la française, le g devient sonore et notre « imbroglio » se gausse alors de son origine transalpine !

Ce nom masculin, attesté en France qu’à la fin du XVIIe siècle, tire son origine de l’italien imbrogliare, « embrouiller ». Un imbroglio désigne une embrouille, c’est-à-dire une situation compliquée et peu claire. Ses synonymes foisonnent et parlent d’eux-mêmes : embrouillamini, méli-mélo, micmac, sac de nœuds, enchevêtrement, chaos, etc. L’univers théâtral accorde à l’imbroglio une place privilégiée au titre de pièce de théâtre à l’intrigue fort compliquée, empreinte de rebondissements parfois farfelus. Citons Le Mariage de Figaro de Beaumarchais (1784) comme parfait imbroglio, à l’époque écrit imbroille. Les fils de l’intrigue s’enchevêtrent tout au long des cinq actes de La folle journée. Le comte Almaviva désire Suzanne, la fiancée de Figaro, valet du comte. Or Marceline, courtisée par Bazile, veut épouser Figaro redevable d’une dette envers elle. La comtesse Rosine espère bien reconquérir son mari, malgré les charmes de Chérubin batifolant de surcroît avec Fanchette. Avez-vous bien démêlé la situation emberlificotée a capriccio ?

livre mariage de figaro

A capriccio ? Ne nous laissons pas déborder par l’ensorceleuse langue italienne et résolvons promptement cette énigme. Du terme capriccio, « caprice », forme musicale, découle cet adverbe A capriccio. Il signifie en musique, à volonté, librement. In fine, puisque votre chemin vous mènera inexorablement à Rome, régalez vos yeux de portraits peints par Modiliani (Modigliani francisé), et vos papilles par de délicieuses taliatelles (tagliatelles francisées) Vous l’aurez compris, le g brille en Italie par son absence devant un l mouillé. Choisissez votre camp…

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Portrait de madame Survage par Modigliani (1918)

 

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Tagliatelles au saumon fumé