Saynète

D’emblée, j’entends des voix gronder et me souffler ma faute : n’écrit-on pas scénette ?

saynete

La tentation peut être grande comme une erreur qui se répand.

Le philosophe suisse, Henri-Frédéric Amiel, écrivit :

« Une erreur est d’autant plus dangereuse qu’elle contient plus de vérité. »

Oui, nous sommes tentés par cette science relative aux processus de la pensée rationnelle qu’est la Logique, d’écrire « scénette » comme une petite scène. Ce pourrait être soit un petit lieu où se passe l’action théâtrale, soit une petite partie d’un acte composant une pièce de théâtre. Le nœud de la question pour ne pas dire le hic est que ce mot de « scénette » n’existe pas ! Quoi qu’on en pense, quoi qu’on en dise, quoiqu’on entende, quoi qu’on en lise, il ne figure pas dans notre beau dictionnaire. C’est ainsi. Utilisé fréquemment, il s’agit bel et bien d’une erreur courante, d’un mot incorrectement écrit. 

Le bon mot, surgi de nulle part, est le mot saynète qui nous viendrait d’une autre planète, si je puis dire. Nom féminin, son origine est espagnole, du mot sainete, morceau délicat, et sain, graisse. Le latin vulgaire saginatus, engraissé, en serait le point de départ. Sa sémantique a évolué au cours des siècles. Au XIVe, on lui attribue le sens de « petit morceau de graisse donné en récompense à un faucon de chasse ». Il se transformera ensuite en « toute bouchée agréable au goût », puis en « toute chose plaisante ». Au XVIIe, une « pièce bouffonne en un acte que l’on donnait avant le deuxième acte d’une comédie en guise d’entracte » fait son apparition, avant de devenir une « petite pièce comique espagnole » du XVIIIe, et plus généralement une « petite pièce comique très courte » au XIXe. Il resta longtemps du genre masculin avant de céder au genre féminin. Les femmes sont terribles…

Notre Larousse actuel lui prête de nouveau la définition d’une pièce comique du théâtre espagnol, mais lui accorde en second sens vieilli, celui de sketch ou de courte pièce avec peu de personnages. Rien ne vaut un exemple, extrait du sketch « Parler pour ne rien dire » de Raymond Devos :

 Mesdames et messieurs … je vous signale tout de suite que je vais parler pour ne rien dire. Oh! Je sais! Vous pensez : « S’il n’a rien à dire … il ferait mieux de se taire! » Évidemment ! Mais c´est trop facile ! … C´est trop facile ! Vous voudriez que je fasse comme tous ceux qui n´ont rien à dire et qui le garde pour eux ? Eh bien, non ! Mesdames et messieurs, moi, lorsque je n´ai rien à dire, je veux qu´on le sache ! Je veux en faire profiter les autres ! Et si, vous-mêmes, mesdames et messieurs, vous n´avez rien à dire, eh bien, on en parle, on en discute ! Je ne suis pas ennemi du colloque. Mais, me direz-vous, si on en parle pour ne rien dire, de quoi allons-nous parler? Eh bien, de rien ! De rien ! Car rien … ce n´est pas rien, la preuve c´est qu´on peut le soustraire. Exemple: Rien moins rien = moins que rien ! Si l´on peut trouver moins que rien, c´est que rien vaut déjà quelque chose ! On peut acheter quelque chose avec rien ! En le multipliant Un fois rien … c´est rien, deux fois rien … ce n´est pas beaucoup ! Mais trois fois rien ! … Pour trois fois rien, on peut déjà acheter quelque chose ! … et pour pas cher! Maintenant, si vous multipliez trois fois rien par trois fois rien : Rien multiplié par rien = rien et trois multiplié par trois = neuf. Cela fait rien de neuf ! Oui … Ce n´est pas la peine d´en parler!…

En essayant de ne pas parler pour rien, voici d’autres mots écrits bien souvent incorrectement, et toujours pour de bonnes raisons, mais oui !  

L’incorrect cauchemard prend trop souvent le D de cauchemarder ou cauchemardesque, alors qu’il s’écrit tout simplement cauchemar.
Connexion prend un X et non CT comme dans le mot incorrect connectioninfluencé à tort par le verbe connecter et le nom anglais connection. 
Le magasin peine à se contenter du S en empruntant un Z fautif d’un magazin inexistant, mais influencé par le magazine des kiosques venu d’Angleterre.
Le choix cornélien ou dilemme pose forcément problème en confondant avec le dilemne qui n’existe pas, mais ressemble étrangement à l’adjectif indemne.
 

Et même si notre saynète rime avec sornettes et qu’elle en raconte parfois, je n’ai trouvé malheureusement aucun moyen mnémotechnique pour le retenir. Dommage…avec deux M.