Notre expression du jour n’a point de chagrin en larmes mais du chagrin en cuir.
« Se réduire comme une peau de chagrin » évoque toute chose qui diminue sans relâche et tend à disparaître.
« Nos espoirs de retrouvailles se réduisent comme une peau de chagrin au fil des minutes assassines. »
Et même si l’espoir déçu fait verser des larmes, notre peau de chagrin, elle, a le cuir dur.
Remontons au XVIe siècle pour déchiffrer l’étymologie de notre chagrin.
C’est au mot turc sagri que nous devons nous raccrocher. Il désigne la croupe d’un animal, pour autant dire son postérieur.
Par métonymie ou glissement de sens, la croupe s’étend à la peau bestiale, surtout celle de l’âne ou de la mule.
Ainsi naît la « peau de sagrin » qui se transforme à l’usage du parler populaire en « peau de chagrin ».
Douée d’élasticité et de solidité, cette peau, sorte de cuir, sert à la confection de tambours, de chaussures et de reliures de livres.
Tout d’abord mouillée, puis étirée, la peau de chagrin recouvrant un tambour rétrécit en séchant.
Par cette formule, la langue française s’inspire tout naturellement de ce phénomène physique.
Notre billet littéraire pourrait s’achever là.
Or notre expression prend son envol par la plume de Balzac qui, en 1831, publie un conte philosophique et fantastique,
LA PEAU DE CHAGRIN.
Raphaël de Valentin, très pauvre orphelin, vit hanté par l’écriture de sa grande œuvre, la « Théorie de la Volonté ».
Découragé, il veut en finir avec son existence lorsqu’il rencontre un étrange antiquaire qui lui fait cadeau d’une peau de chagrin.
– Retournez-vous, dit le marchand, en saisissant tout à coup la lampe
pour en diriger la lumière sur le mur qui faisait face au portrait,
et regardez cette Peau de Chagrin, ajouta-t-il.
Des paroles mystérieuses sont incrustées dans la peau merveilleuse.
Ce talisman offre à son porteur le pouvoir magique d’exaucer ses vœux.
Seulement, à chaque fois qu’un désir se réalise, la peau vient à rétrécir tout en rongeant la vie de son propriétaire jusqu’à sa mort inéluctable.
Le vieil homme dit gravement:
– Le mot de sagesse ne vient-il pas de savoir?
Et qu’est-ce que la folie, sinon l’excès d’un vouloir ou d’un pouvoir?
– Eh! bien, oui, je veux vivre avec excès, dit Raphaël en saisissant la Peau de chagrin.
– Jeune homme, prenez garde, s’écria le vieillard avec une incroyable vivacité.
Balzac met en lumière l’ampleur du paradoxe entre la volonté et le destin,
entre une vie merveilleuse mais courte ou une vie modeste et longue.
Raphaël, lui, a fait son choix, celui de la passion.
Et sa vie s’amenuise comme sa peau de chagrin.
Marie-Agnès Girault-de Francqueville